Le « nouveau » récit de Lucie Jamsin après les Templiers 2016

« C’est génial ce que tu fais !!! ».
Quelques mots lâchés par le coach, Philippe Propage au ravitaillement de la ferme du Cade. Nous sommes au kilomètre 68.
8 kilomètres plus loin, je franchirais la ligne d’arrivée après 8h31 de course et avec les résultats suivants : 5ème femme, 1ère française ; 45ème au scratch.
Un saut de joie, un vrai sourire qui illustrent à eux seuls le simple bonheur d’avoir pu, enfin, COURIR !!!!
Dimanche 23 octobre, 3h du matin
Le réveil sonne. Il est l’heure de déjeuner. Aujourd’hui, je serai bien restée au lit. Depuis deux semaines, j’accuse le coup de mon déménagement dans l’Ain et d’une semaine d’entrainement spécifique réalisée dans mon nouveau terrain de jeu. La fatigue est bien présente. Avec Philippe (NB : Philippe Propage, le coach), nous avions décidé de mettre à profit les montagnes de l’Ain dès mon arrivée ici. La préparation des Templiers était loin d’être optimale ; aussi, nous voulions préparer l’avenir plutôt que la course de ce dimanche. 160 kms parcourus la semaine précédente me pèsent donc les jambes. Mais l’essentiel n’est pas là : Ce qui me rend heureuse, c’est de me rendre compte que depuis 3 semaines, je cours sans aucune douleur ; et que pour la première fois, je vais prendre le départ d’une course en ayant mal NULLE PART !!!! C’est juste énorme. Et d’ailleurs, c’est tellement inhabituel que j’en suis perturbée.
La veille au soir, j’indique à Philippe que je ne sais pas où j’en suis côté sensations et que je me sens fatiguée. La réponse est simple : « La fatigue, ce n’est pas grave ; l’essentiel est que tu n’aies aucune douleur ». Ces mots me suffiront. Comme à mon habitude, je lui fais entièrement confiance : s’il n’est pas inquiet, je n’ai aucune raison de l’être. Notre objectif est clair : Boucler ces 76kms ET arriver en un seul morceau. Eh oui, il faut dire que j’avais pris l’habitude de finir mes courses sur une patte et d’enchainer avec quelques mois d’arrêt derrière.
Jamais nous n’avons parlé de classement, nous pensions que si j’étais capable de courir sur mes 2 pieds d’un bout à l’autre de la course ; la position dans le classement général suivrait.
Voilà comment j’ai pris le départ de ce mythique événement avec quelques 2500 personnes à mes côtés.
6h du matin, il est un peu tôt pour faire la fête mais pourtant, c’est bel et bien la folie à Millau.
Des spots, des micros, des caméras et des photographes. Je rejoins la ligne de départ et je me retrouve aux côtés des plus grands. Un coucou à tout le monde, les derniers encouragements ; Nous écoutons le traditionnel poème de Gilles Bertrand puis la musique de départ… et enfin le décompte. A ce moment-là, je suis juste la plus heureuse de prendre part, enfin, à cet événement !!! Maintenant, yapluka !!!!
La lampe frontale est en marche et je m’élance sur la route qui nous mènera très vite dans la première montée.
Quelques filles ont du partir devant ; d’autres sont encore derrière. Je sais ce que je dois faire et je le mets en place tout de suite : Faire ma course tout en m’inspirant de ce que je vois autour de moi. Je manque d’expérience sur les courses de longue distance, je n’ai jamais couru plus de 60 kms. Alors, je dois apprendre le rythme d’une telle course ; gérer mon effort ; me préserver.
Dans la montée de Carbassas, je cours avec une étrangère dans mon champ de vision. Je triche littéralement sur elle et copie ce qu’elle fait : je sais, ce n’est pas beau de tricher ; mais tant pis, aujourd’hui, on dira que c’est pour la bonne cause. Nous alternons donc marche et course dans cette longue montée.
La suite est plutôt agréable, nous courons sur de larges pistes forestières. Des passages plutôt roulants. Je me fais doubler par deux étrangères et Stéphanie Duc. Il faut dire que je cours avec le pied sur le frein, de peur de m’entamer les jambes sans m’en rendre compte. « Pas grave, reste en chasse-patates et attends sagement, la route est encore longue ».
Dans la descente de Peyreleau, avant d’arriver au km 23, je recolle à Stéphanie Duc. Les jambes vont très bien, je prends beaucoup de plaisir à courir et en plus, le jour se lève. Je vais enfin pouvoir éteindre ma frontale. J’avais estimé mon temps de passage au 1er ravito en 2h. J’y serai en 2h07 ; je suis mal à l’aise avec ça. Même si je sais que je cours très calmement, j’ai déjà pris du retard…
Aussi, quand j’arrive auprès de Philippe, je lui adresse un sourire gêné : « Ca va nickel. Je suis partie prudemment ». Avant de me reprendre : « Trop prudemment ». Il acquiesce. Et merde…
Le cerveau commence à m’attaquer. D’un côté, la sagesse qui me pousse à rester calme et à prendre mon temps. « Tu ne connais même pas le parcours !! Restes calme, la course commence à Pierrefiche (Km48) ». Et de l’autre, « A ce rythme-là, tu n’es pas arrivé !!! ».
Je repars sur le même rythme et je décide de me préserver. J’ai récupéré mes bâtons, et ça, ça me rassure. Quitte à devoir les porter 50 bornes, je sais qu’ils seront une aide précieuse quand la succession des montées commenceront à peser sur les quadriceps.
Et d’ailleurs, les premiers essais sont concluants. Je n’hésite pas à les utiliser dès la montée entre le ravito 1 et le ravito 2 : Je doublerai même Emilie Lecomte. Je suis surprise de voir apparaitre son nom sur le dossard épinglé dans son dos. Hébétée, je ne sais pas trop quoi dire mais je ne peux pas la doubler sans un mot. C’est bof. Maladroitement, je lui adresse un « Allez, courage !». Avant d’ajouter, pour lui exprimer mon respect : « On se revoit après ».
Et avec mes bâtons, j’accroche aussi l’italienne Martina Valmassoi qui finira 6ème derrière moi ; je la double en montée sans trop d’effort ; car elle, court sans bâtons. Elle, repasse devant moi sur le plat et dans les descentes.
Je croise aussi très souvent Steph (Stéphanie Duc). Nous repartons du ravito 2 ensemble et c’est l’occasion de parler. Un vrai bonheur d’échanger. Le temps passe vite, les kilomètres défilent. Nous nous suivrons pendant un long moment. Les paysages sont fabuleux. Il est vrai que j’ai vu défiler un bon milliard de cailloux sur mon chemin ; mais j’ai aussi relevé la tête à de rares moments pour m’imprégner de la beauté des lieux. Les Causses, ça a vraiment de la gueule !!!
Au point d’eau de la Roque sainte Marguerite, j’ai perdu Stéphanie qui ne me suit plus. On m’annonce 7ème. Je suis surprise de voir l’état de mes jambes : Elles vont plutôt bien et j’ai franchi la barre fatidique des 40 kms, celle où d’habitude, les traumatismes musculaires et articulaires commencent à me casser en deux. A ce moment-là, pas de tendinite en vue, pas de tiraillements anormaux : On dirait bien que ça va !!! Et comme je le savais depuis le départ : Le début de la course, c’est maintenant !!! Je me prends aussi au jeu du classement général : J’ai passé le premier comptage en 180ème position et à la Roque Sainte Marguerite, je passe 60ème. Un top 50 ???? Non pas que je veuille jouer avec les gars ; mais doubler plutôt que de se faire doubler, c’est top !! Et qui sait, peut être que dans le lot, il y aura bien une fille !!
Mes démons de ne pas être capable de rallier l’arrivée s’éloignent et maintenant mes objectifs changent : Je suis la première française et je DOIS garder cette place ; Je suis 7ème féminine et on me dit que devant ça n’est pas très loin : Alors, allons-y !!!!
Je maintiens le rythme sur le plat et je monte en marche rapide dans les grosses bosses. Je soigne toujours les descentes pour minimiser les impacts. Pour une fois, je suis en mode « félin », on effleure le sol plutôt que de le marteler (Retour d’expérience des Championnats de France de trail à Saint Marin Vésubie où je me suis littéralement exploser les cuisses en descente, ce qui m’aura valu de perdre 2 places au général dans les 5 derniers kilomètres de la course, alors qu’elle n’en comptait qu’une trentaine).
Et voilà, petit incident technique : je n’y vois plus grand’chose. Je suis tellement concentrée sur mes pas que j’en oublie de cligner des yeux !! Vous pouvez rire, ça parait bête comme ça mais n’empêche que mes yeux s’assèchent et que ma vision devient trouble. Après une bonne heure à me frotter les yeux, croyant que mes lentilles de contact en sont la cause ; je prends la décision de les jeter en course. Un vrai sketch !! Verdict : Je n’y vois pas plus clair : Je vois toujours ces millions de cailloux au sol, mais je ne vois rien 10 mètres devant mon nez. Tant pis, je finirai comme ça !
L’arrivée à Massebiau est énorme. A l’image de tout le reste du parcours, je retrouve là-bas une foule importante de spectateurs. Des amis, des anonymes, des enfants ; tout le monde est là pour nous encourager. C’est juste énorme et ça me donne des ailes. Un grand merci à tous ceux qui m’ont reconnu et encouragé ; les amis proches qui m’ont suivi tout au long du parcours, mention spéciale à Ben, Christelle et Antonin !!
J’attendais avec impatience la montée du Cade et celle qui suit. Mes jambes répondaient encore très bien. Je ne sais pas si c’est parce qu’on m’avait tant parlé de ces 2 bosses ; ou si c’est parce que ça signifiait que l’arrivée se rapprochait que j’étais aussi impatiente de les gravir ; mais en tout cas, je ne pensais plus qu’à ça !!!
Avant d’attaquer le Cade, je suis 6ème, puisque je me suis dégagée de Martina qui ne suivait plus en montée.
Au milieu de la pente, contre toute attente, alors que je cours quasiment seule depuis très longtemps, à l’exception des coureurs que je double toutes les 5/10 minutes et qui sont dans un sale état ; j’aperçois l’anglaise Holly Rush ! Ah purée, c’est pas vrai !! Elle est là la 5ème place !!! « Bats-toi, accroches toi. Tu as encore assez de jus pour finir fort s’il le faut !! ». En arrivant à son niveau, je me rends compte qu’elle aussi est dans un sale état. Complètement à l’arrêt, je comprends qu’elle ne prendra pas ma foulée. Quelques instants plus tard, je me retourne. Elle n’est plus là.
Ravito 4, ferme du Cade. Philippe me verra entamée pour la première fois de la course. Je sens bien que mon regard a changé. Mon sourire a laissé place aux marques de la fatigue. Le Cade, monté en rythme m’aura couté un peu d’énergie ;).
« C’est génial ce que tu fais » !!! Allez, c’est fini !! Il faut tenir, tu es 5ème !! Allez ma grande !!!
J’y retourne. Dernière partition. Et non la plus apaisante. Sans parler de la fatigue, c’est bien sûr la crainte qui reprend le dessus. A ce moment de la course, je ne peux plus envisager de me faire doubler par qui que ce soit. 1ère française, 5ème femme ; le compte est bon ; il ne faut plus rien lâcher et s’accrocher. Il reste une grosse descente, une horrible montée, et la descente vers l’arrivée. Autant dire que le jeu n’est pas encore fini !! Sur les conseils de quelques amis coureurs, j’ai laissé, à contrecœur, mes bâtons à Philippe au Cade. On m’avait dit que je n’en aurais plus besoin pour la dernière bosse, parce qu’on y monte avec les mains. Vous êtes certains les copains ?!?
Eh oui, je vous confirme, quelle dernière bosse !!! Un vrai kilomètre vertical !! Plusieurs fois, mes pieds accrocheront le sol, je n’arrive plus à les bouger précisément ! Pour autant, je suis encore bien lucide et je sais que je ne dois pas perdre de temps. J’ai peur d’être rattrapé, je file au plus vite !!!!
Le sommet de l’antenne !!! Génial, cette fois on y est !! Maintenant on descend.
Passage par la grotte du hibou, glissades et dernières marches ; je fonce vers l’arrivée.
Obligée de demander aux spectateurs s’il n’y a personne derrière. Les informations que l’on me donne me rassurent, je devrais pouvoir conserver cette 5ème place. J’entends au loin la voix du speaker, j’imagine la foule. Mon esprit jubile.
1ère française
5ème Féminine
8h31 de course

Je cours les derniers mètres de la course avec des jambes qui volent ; à l’image de mon bonheur. Je ne peux m’empêcher de sauter de joie sous cette arche.
Parce que je comprends que je tiens ma victoire. Une victoire sur moi-même et sur 2 années de doutes et de déception. J’ai relevé le défi en 2014 de me lancer sur le trail ; et de faire aussi bien que ce que je venais de réaliser sur route et en course de montagne. Je ne m’attendais pas à ce que ce jeu soit aussi difficile. Je ne pensais pas qu’il me faudrait ré-apprendre à courir, développer ma proprioception et ma musculature ; apprendre à manger et à boire en courant…
Je ne regrette pas ce choix. Le chemin est sinueux mais c’est bien parce qu’il est si difficile de performer qu’une réussite vous comble de bonheur et vous pousse à poursuivre l’aventure.

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J’étais venue ici pour apprendre. Je repars les bras chargés de bonheur, d’expérience, de moments magiques et d’espoir.
Aujourd’hui, les bases sont posées, l’objectif est atteint.

Aujourd’hui, je poursuis mon rêve.

Lulu