Nous sommes le jeudi 24/10/2019.
Cela fait exactement un mois que je me suis astreinte à une prépa quasi militaire, à coup de 14 km de course à pied et 1 heure de cross-fit tous les jours pour être dans la forme la plus optimale possible pour le départ du Grand Raid des Cathares.Le Grand Raid des Cathares (GRC), c’est un ultra trail de 166km/7 800mD+ à boucler en 46 heures et situé dans la région de Carcassonne.
A cette prépa, j’ai intégré de manière totalement non calculée un marathon : Seine-Eure le 13/10. De ce marathon, j’ai passé la ligne d’arrivée en 3h49 avec un petit Négative Split (malgré un arrêt d’une minute à un ravito au cours duquel j’ai bu une demi-brique de jus de châtaignes, ce qui m’a causé des ballonnements conséquents sur toute ma fin de course) ! Hormis ce léger incident, les sensations ont été globalement très bonnes.
Quoi qu’il en soit, je prends le départ sereine. Certes, j’aurais aimé commencer ma prépa plus tôt mais après l’ultra Trail d’Andorre fin juillet dernier, je me suis plongée dans une période de laisser-aller où j’étais davantage motivée à passer mon temps à manger plutôt qu’à faire de l’exercice physique. La prise de poids n’aidant pas, à un mois de l’échéance, je me suis dit qu’il était temps de se bouger les fesses pour limiter la casse et ne pas subir cet ultra. Même si le D+ est plutôt light comparé à Andorre (à savoir, 2 fois moins), gardons en tête qu’un ultra ne s’improvise pas.
RETOUR AU JOUR J
Nous prenons le train de 6h43 à Montparnasse. Le voyage en train se passe bien. En d’autres termes, nous ne sommes pas impactés par les grèves SNCF. Moyennant 5 € supplémentaires, Émir et moi avons réservé en 1ère classe de manière à dormir plus facilement pour être à peu près en forme pour le départ qui a lieu le jour-même à 18h00. Je n’apprécie pas beaucoup ces départs tardifs, car même si le contenu de la journée est peu fourni, il fatigue néanmoins.
Nous rejoignons Jérémy à Toulouse où nous avons un changement de train. Jérémy participe pour la 2ème fois au GRC après un abandon deux ans plus tôt. Notre trio est au complet.
Pour l’occasion, Émir a loué une voiture à Carcassonne qui va lui permettre de faire mon assistance sur place, ainsi que celle de Jérémy, autant que ça lui sera possible.
Je vous épargne la remise des dossards, les consignes etc. 
RETROUVONS-NOUS SUR LA LIGNE DE DÉPART
Il est donc 18h00, nous sommes à proximité du lac de Cavayère. Nous sommes environ 250 à prendre le départ, autant dire que cet ultra sera intimiste.
Je repère mes consœurs coureuses que je perçois évidemment comme bien plus performantes que moi. Sur la liste des inscrits, j’ai remarqué que nous étions 8 femmes et que les 5 premières étaient classées. Selon les stats, 50% abandonneront. Donc si je termine, je suis sur le podium. Voici qui est motivant !

LE DÉPART EST LANCE
Je m’élance avec Jérémy. Les premières sensations sont bonnes. J’ai néanmoins quelques courbatures conséquentes aux fesses à cause de ma séance de cross-fit de la veille durant laquelle j’ai fait des séries de fentes arrière.
Après 500m, les premiers embouteillages pointent le bout de leur nez. Les premiers faux plats font leur apparition et les chemins deviennent plus étroits. Des coureurs commencent déjà à sortir leurs bâtons, ce qui a le don de m’agacer prodigieusement. Ne supportant pas d’être placée derrière un « homme-bâton », je m’efforce de doubler tant bien que mal, car les chemins s’apparentent à des singles et que les hommes-bâtons ne se laissent pas doubler facilement. Jérémy m’indique qu’il doublera quand les chemins seront plus larges.
Je piétine, je traîne, je cherche la moindre fenêtre pour doubler. 
Après quelques centaines de mètres (au km 1 ?), je me retourne : plus de Jérémy ! Je ne comprends pas comment j’ai pu le perdre aussi vite.
Je continue ma route, je me dis que Jérémy parviendra peut-être à doubler et à me rattraper quand le parcours s’y prêtera davantage.
Finalement, nous ne nous verrons plus du week-end. Je nous visualisais mal finir ensemble cet ultra car mon entraînement me laissait penser que j’allais être plus à l’aise que Jérémy. Je nous voyais courir au moins jusqu’au 1er ravito. Mais nous perdre de vue aussi vite n’était pas un scénario que j’avais imaginé !
Très rapidement, je suis interpellée par Virginie, la copine du cousin de l’ami Thomas Fins, Augusto, ce dernier qui a fini l’Euforia en Andorre (j’étais sur la Ronda del Cims le même week-end). Ça fait beaucoup de noms tout ça, vous avez suivi ? 😀 Nous discutons brièvement, je suis contente de faire leur connaissance.


13,3km/1h46 de temps de course : Molières

Le 1er ravito arrive très vite ! Je suis contente de voir Émir. J’ai l’impression que nous nous sommes quittés il y a 5 minutes. Il me dit que j’ai fait vite, je lui explique que j’ai perdu Jérémy. Émir va l’attendre un peu. J’aurai donc de ses nouvelles au prochain ravito.
Je ne m’attarde pas et continue ma route.
La météo se gâte, nous avons droit à une mini tempête combinant vent, froid et pluie. L’avantage, si je puis dire, c’est que le froid incite à courir pour ne pas finir en glaçon.

42,1 km/6h26 de temps de course – arrivée au Château d’Arques

J’aperçois le 1er château d’Arques illuminé dans la nuit ! Il s’agit de la 1ère base de vie. Nous y reviendrons au km 116. 


Cela fait du bien au moral de voir de la vie : des bénévoles, les coureurs déjà arrivés, et surtout Émir. Je suis néanmoins interpellée : « ça, c’est une base vie ?? » J’ai l’habitude de côtoyer des bases vie en dur, confortables. Là, il s’agit de grandes tentes, non-chauffées (en tout cas, je n’en ai pas eu l’impression), et le ravito ne me fait pas vraiment rêver. Fait rarissime, j’aperçois un pot de Nutella mis à disposition des coureurs. Je me questionne sur les bienfaits de la pâte à tartiner sur un ultra. Quoi qu’il en soit, les conditions sont réunies pour que je ne m’attarde pas.

74km/13h06 de temps de course – château de Peyrepertuse

La montée au château de Peyrepertuse se fait sans difficulté pour moi. Je suis d’ailleurs surprise une fois arrivée, que bien des coureurs ont morflé.En revanche, cette ascension me fait perdre patience car j’ai environ 2-3 km d’écart par rapport au kilométrage indiqué sur ma montre (et je ne suis pas la seule !). J’en loupe Émir ! 
En effet, au km 73 (indiqué sur ma montre), j’envoie un SMS à Émir en lui indiquant que je suis sur le point d’arriver au château (en me référant aux indications de ma montre). Lorsque je me rends compte qu’il me reste toute l’ascension à gravir, mon portable s’éteint à cause du froid… Je n’ai plus aucune possibilité de contacter Émir pour lui signaler qu’il va devoir m’attendre plus longtemps. Émir, ne me voyant pas arriver, repart en pensant qu’il m’a loupée. Je suis blasée !
S’en suit une autre montée jusqu’au pic du Bugarach. La vue depuis le pic est la plus belle de toute la course. Il y vente énormément. Je me sens un grain de sable face à l’immensité des paysages.


La descente qui s’en est suivi a été pour moi le seul passage technique de la course. Je me suis retrouvée en Guadeloupe, 3 ans plus tôt, « chutant » d’arbre en arbre, sol boueux et glissant, tel un Tarzan bas de gamme. Ma pleine possession de mes mains est à ce moment-là indispensable.J’ai une pensée pour Jérémy à ce moment-là. Je me demande comment il va s’en sortir avec ses bâtons.


101,9km/18h38 de temps de course : Bugarach

Après avoir longé un simili camping, j’ai la joie de retrouver Émir. Émir, qui n’a de cesse de me complimenter sur ma progression. Je lui explique le pourquoi du comment nous nous sommes manqués à Peyrepertuse. Je m’en veux. Mais lui pas du tout. Je suis rassurée.

118km/21h59 de temps de course : de retour au château d’Arques 

Il y fait une toute autre ambiance qu’à l’aller. Il fait jour, beau, les coureurs et accompagnateurs semblent détendus. On se croirait presque à un pique-nique géant. Je dévore le tiers de mon pot de Halwa à la pistache… Un régal !! Émir a la gentillesse de me laver les pieds et les jambes. Avec de nouvelles chaussettes, j’ai l’impression d’être toute fraîche !   
Hugues, le coureur avec qui j’avais fini « bras dans la main » la Ronda del Cims l’été dernier, a fait le déplacement depuis Toulouse pour me voir ainsi qu’un ami. Cela du bien de voir une tête connue, et surtout en pleine forme. Nous discutons brièvement.

 Passé le château d’Arques, je me souviens que les ravitos se sont enchaînés plus rapidement que précédemment. Je m’efforce de courir car : 

  1. je suis actuellement 2e féminine et je veux pas laisser la 3e féminine me doubler
  2. je souhaite passer la ligne d’arrivée avant qu’Émir reprenne son train retour à 6h30

Au niveau du château d’Arques, les coureurs du 100km, plus frais, nous ont rejoint. Ils ont déjà une cinquantaine de km dans les pattes, et ne sont pas à une allure follement plus rapide que les coureurs du 100 miles.
Sur cette portion, je retiendrai énormément d’escabeaux, je suppose, mis en place par l’orga pour aller de terrains en terrains et passer par dessus les fils barbelés. Ces escabeaux glissants et instables sont fatigants et nous coupent le rythme.

Sur les ravitos, Émir se veut extrêmement méthodique. Il me déleste de mon matos superflu (2ème bidon d’eau, alimentation, pantalon de pluie, batteries de frontale vides…). Je cours avec un sac bien plus léger que quand je vais au travail le matin en courant ! Cette fois-ci, contrairement à Andorre, je ne souffre absolument pas du dos.
A ce stade-là de la course, je suis très heureuse d’être encore en capacité de courir. Tout est vraiment dans la tête. Je n’ai pas le moindre bobo physique, juste la flemme de courir. Cette flemme je la combats pour revoir Émir le plus vite possible au ravitaillement suivant.
km 155 ? J’aperçois la cité de Carcassonne au loin avec son château majestueux. Le parcours est barbant. Nous ne faisons que longer des champs boueux. Dans la nuit, je manque de me tromper de chemin.

Arrivée au niveau de la cité, il faut redoubler d’attention car le parcours des 168km se dissocie des autres formats de course. Sachant qu’il fait nuit et qu’il n’y a pas un chat à 10km à la ronde, l’erreur d’orientation peut vite arriver.
La Cité est majestueuse, apaisante. Je m’attarde pour filmer un peu. Tout est fermé, je regarde partout autour de moi émerveillée, les devantures closes, l’architecture. Dans quelques heures, les lieux seront inondés de touristes. 

Ça y est, je touche au but.

Km 168,3 en 32h45 de temps de course : arrivée à Carcassonne

Je passe la ligne d’arrivée. Il est 2h45 du matin. Un speaker et deux bénévoles sont là pour m’accueillir. Le speaker souligne à plusieurs reprises que nous sommes très peu de femmes et me demande de lui confirmer : « est-ce que vous êtes bien la 2e féminine ? »

L’APRÈS COURSE
Émir me rejoint quelques minutes plus tard. Fatigué d’un tel suivi, il s’est endormi dans le véhicule de location et est déçu de ne pas avoir assisté à mon arrivée.


30 minutes plus tard (?), nous sommes en voiture pour tenter de voir Jérémy en course une dernière fois à Greffeil (km 138,7). Manque de bol, nous le loupons de 5 min. Nous ne pouvons pas rester davantage à l’attendre car il faut retourner à Carcassonne, ranger la voiture, la restituer et prendre le train (pour Émir).
Émir me ramène à la salle du Dôme à Carcassonne, où je peux prendre enfin une douche et dormir dans un lit de camp. Peu importe que la salle soit éclairée et qu’il y ait du bruit, je pourrais dormir dans n’importe quelle condition tant je suis fatiguée. Un bénévole m’apporte une couverture pendant la nuit, et je dors très confortablement.
Le lendemain, enfin, samedi à 14h00 a lieu la remise des récompenses. Je suis donc à la 2ème place du podium féminin, la 1ère ayant étant occupée par Myriam Gallet, qui m’a devancée de plus de 2 heures ! Nous serons toutes les 2 seules sur l’estrade, la 3ème ne s’étant pas jointe à nous. 
Nous sommes vraiment gâtées ! Entre un super trophée en ardoise, un bouquet de fleurs, de l’équipement de sport et un panier garni (ô miracle, presque tous les produits véganes !), une question se pose : comment vais-je rapporter tout ça chez moi ???
Il me reste encore un peu de temps avant mon covoiturage pour essayer d’assister à l’arrivée de Jérémy. Manque de chance, Jérémy se trompe d’arrivée, et je ne le verrai pas !

MA CONCLUSION
Le Grand Raid des Cathares est sans nul doute l’ultra que j’ai le mieux vécu de ma vie. Il y a plusieurs explications à cela :

  • ma prépa volumique a porté ses fruits
  • l’assistance d’Émir
  • le manque de technicité du parcours
  • mon expérience en Andorre qui m’a fait avaler énormément de D+ et m’a fait bosser le mental
  • la bonne gestion de mon alimentation
  • le fait d’avoir couru à mon rythme

Vivre seule un ultra est difficile psychologiquement mais comporte l’immense avantage de pouvoir avancer à son rythme. Émir m’a été d’une aide inestimable. Je n’aurais jamais pensé le voir aussi fréquemment. Je le remercie énormément pour cela. J’adresse toutes mes félicitations aux finishers de tous les formats de course du Grand Raid des Cathares. En particulier à Jérémy qui n’a pas démérité et a fini l’ultra alors que son projet était de courir autant que possible avec moi. Il sera finisher de son premier ultra en montagne en 44h35.Et un grand merci à l’organisation, aux bénévoles, aux personnes qui m’ont soutenue en réel et sur les réseaux sociaux.